Semaine 8 : Antalya-Jérusalem


Jérusalem, quitte ta robe de tristesse car tes Barouleurs arrivent !

Ils arrivent certes mais un peu plus tard que prévu car le Turquie allait leur réserver une dernière surprise.

Dernière ligne droite donc mais ligne un peu plus longue et vallonnée que prévue pour nous rappeler combien le pèlerinage est avant tout une épreuve. Récit.


Dimanche 15 décembre : Antalya-Sidé

Noël : J-10


Dans notre esprit, ces derniers jours en Turquie le long de la Méditerranée, devait être une partie de plaisir : bercés par le son des vagues et dorés par les rayons de notre soleil retrouvé (et je ne parle pas du sourire de mes coéquipiers).

C'est donc dans cet esprit farniente que nous quittons nos British hôtes, aux aurores, à 11h.

Nous roulons tranquillement le long d'une nationale champêtre où le gazouillement des 32 tonnes répond aux chants mélodieux des imams.

Après 70km à une moyenne de 25km/h, nous arrivons dans la ville antique de Sidé.

Face à la mer, avec le soleil et les palmiers, nos esprits vagabondent et pensent de plus en plus à cette terre promise... Chypre (chaque chose en son temps).


Lundi 16 décembre : Sidé-Alanya

Noël : J-9


En ce matin ensoleillé, il était temps de quitter nos tombeaux pour nous lancer dans notre dernière étape turque avant la traversée vers Chypre. Nous laissons donc Sidé de côté (jeu de mots pour bilingue) pour nous lancer à corps perdu vers Alanya.

La route défile comme la veille, la côte est défigurée par d'immenses hôtels pour touristes germaniques, tous plus extravagants les uns que les autres.

Après une pause déjeuner sur la plage, où nous faisons la connaissance de Bobby, un châton des plus amicaux, nous repartons pour Alanya.

Notre arrivée se fait dans la joie, la bonne humeur, l'amour du prochain et le respect de l'environnement. Tout guilleret, nous cherchons donc le port pour nous assurer des horaires de bateau pour Chypre.

C'est ici, à 16h32 (heure turque), en ce lundi 16 décembre, jour de la Sainte Alice, que survint le drame.

Alors que nous pensions pouvoir prendre un bateau le lendemain pour Chypre, nous apprenons qu'il n'y a plus aucun bateau pour l'île depuis Alanya et qu'il nous faut aller 230 kms plus à l'Est, à Tasuçu.

Dépités, nous reprenons la route, en silence. Après 20kms, nous décidons de nous arrêter sur la plage pour passer la nuit. La lumière est belle, le va et vient de la mer nous apaise, nous prenons une grande décision.

Nous décidons de partir le lendemain à 3h30 pour tenter de faire ces 210kms en une fois afin de monter dans le bateau de 23h30. La fenêtre est étroite mais nous sommes déterminés. Un anonyme disait : "étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent au bateau pour Chypre".


Mardi 17 décembre : Alanya-Tasuçu

Noël : J-8


Plus motivés que jamais, nous sortons de nos duvets frais comme des gardons, le sourire aux lèvres, prêts à en découdre avec la route... Nan je blague.

Le réveil pique en ce matin du 17 décembre, le cadrant de la montre affiche 3h30, les traits du visage annonce une nuit trop courte mais la motivation est bien là, ce soir nous serons dans un bateau (et ce ne sera pas une galère) !

Alors que nous prenons la route, deux chiens sortent des fourrés en aboyant...comme des chiens. Notre parfaite maîtrise du langage canidé nous permets de comprendre qu'ils viennent seulement nous saluer et nous souhaiter une bonne route, "en espérant que la route ne monte pas trop et que vous ayez votre bateau ce soir" disent-ils. Nous nous quittons bons amis et partons dans la nuit, sans nous retourner.

Les kilomètres défilent et la route s'élève, déserte. Le froid est mordant dans les descentes.

Sur les coups de 7h, nous arrivons en haut de la deuxième côte du jour et retrouvons enfin la mer. La vue que nous offre la route est magnifique. Au loin, l'horizon se détache, souligné par la lumière flamboyante du soleil levant. Les imams claironnent l'appel à la prière alors que nous entamons une longue descente. La lumière change progressivement et joue à la surface de la mer. Les teintes sont oranges, violettes, rouges, pourpres et paraboliques. Nous profitons de ce spectacle éphémère qui nous paye des mésaventures de la veille, mon Dieu que c'est beau !

Les kilomètres continuent à défiler et le paysage ne change pas, toujours aussi beau. Les côtes, elles, s'enchaînent et viennent s’abattre sur notre bonne humeur comme la pluie sur les carreaux d'une vitre. Nous résistons aux assauts du découragement. Un thé plus tard, nous serpentons au milieu des champs de bananes (oui il y a des bananes dans le sud de la Turquie), d'oliviers et de fraises.

A midi nous avons déjà fait 140kms, le moral remonte, l'objectif est atteignable, la route est belle et le temps magnifique.

Même si la route ne nous laisse aucun répis avec des côtes exigeantes à intervalles réguliers, nous arrivons sur les coups de 18h à Tasuçu. Le soleil se couche déjà, ce flemmard.

Nous filons acheter nos billets et embarquons à 23h30...comme des bienheureux.


Mercredi 18 décembre : Tasuçu-Nicosie

Noël : J-7


Notre voyage est agité. Agité par un groupe d'une centaine de jeunes turcs se rendant en Chypre du Nord pour leur service militaire. Nous ne rattrapons donc pas notre sommeil de retard. À 9h c'est les yeux explosés par la fatigue que nous contemplons les rivages de l'île. Nous débarquons à Girne, une jolie ville du côté turc de Chypre, au nord de l'île. Il faut savoir que Chypre est séparée en deux, d'un côté la République de Chypre du Nord, non reconnue par la communauté internationale, et soutenue militairement, économiquement et démographiquement par la Turquie (30000 soldats turques y stationnent). Et de l'autre côté la République de Chypre, membre de l'union européenne, pays grecophone ayant pour capitale Nicosie.

C'est sous le soleil de l'île et ses 20 degrés que nous parcourons les 34 kms qui nous séparent de Nicosie au centre de l'île.

Nous passons alors côté "grec", nous revoilà à nouveau en UE.

A Nicosie, nous sommes accueillis par Julien un ami belge d'un cousin de Pierre Étienne.


Jeudi 19 décembre : Journée de repos

Noël : J-6


Nous nous octroyons une journée de pause où nous en profitons pour visiter Limassol à 80 km de Nicosie, dans le sud. La ville n'a pas grand intérêt à part un bord de mer aménagé pour les touristes russes, allemands et scandinaves qui viennent en nombre toute l'année. Comme le dit notre ami Julien : "il n'y a rien à faire sur le caillou".

De retour à Nicosie, nous dînons avec Julien et ses amis dans restaurant grec typique et apprécions une moussaka. Nous faisons la rencontre de Marc un baroudeur comme nous qui a relié Paris à Nicosie pour retrouver son frère en Erasmus sur l'île !


Vendredi 20 decembre : Nicosie-Larnaca

Noël : J-5


Ce vendredi marque la dernière étape avant la Terre Sainte. Après avoir chaleureusement remercié Sophie et Julien nos hôtes belges, nous quittons Nicosie. Nous sillonnons la campagne chypriote et arrivons en début d'après midi à Larnaca. Ville chypriote...ville relativement sans intérêt donc si ce n'est la mer.

Nous nous endormons en rêvant des magnifiques paysages chypriotes et des merveilles découvertes...lol.


Samedi 21 décembre : Journée de transition

Noël : J-4


Avant de prendre l'avion le lendemain pour Tel Aviv, nous occupons notre journée à trouver des cartons pour emballer nos vélos afin qu'ils soient acceptés en soute.

Nous faisons ainsi le tour des magasins de vélos de la ville afin de trouver de vieux cartons assez grands pour contenir chaque vélo. Nos recherches sont à moitié fructueuses puisque nous trouvons des cartons mais un peu trop petits pour nos montures. Nous passons ainsi l'après midi à démonter nos vélos et à remplir nos cartons.

Nous faisons également le tri dans nos affaires pour tout faire rentrer dans nos sacs : adieu tapis de sol, chaussettes et t-shirts, demain nous voyageons léger (il est fou de se dire qu'il faut voyager plus léger en avion qu'à vélo...).

Nous nous endormons en rêvant de Terre Sainte cette fois, de rois mages, de crèches et de paraboles.


Dimanche 22 décembre : Larnaca-Latroun

Noël : J-3


Lever de bonne heure, nous arrivons tôt à l'aéroport et enregistrons sans encombre nos montures.

A 13h30, nous atterrissons à Tel Aviv...nous voilà en Terre Sainte. Après de gentils contrôles de sécurité israéliens, nous retrouvons nos cartons et même nos vélos dedans !

Malgré quelques chocs, tout semble en ordre et nous remontons tranquillement nos bécanes au milieu des voyageurs et des nombreux juifs orthodoxes priant dans le hall de l'aéroport...le décors est planté !

Nous quittons l'aéroport sur une autoroute en direction de Jérusalem... NOUS ROULONS EN TERRE SAINTE !

Dans le crépuscule nous prenons la direction de Latroun, le monastère trappiste où nous sommes attendus pour la nuit.

Dans la nuit, nous arrivons au monastère, les portes sont ouvertes et Nasser, le gardien nous attend. Il nous introduit dans le monastère en attendant les frères qui prient les Vêpres.

A l'heure du dîner nous faisons la connaissance du père Christian Marie, avec qui nous échangions par mail. Son sourire, sa gentillesse et son attention nous font entrer parfaitement dans ces instants de prière et de calme avant l'arrivée à Jérusalem.

Au monastère, nous retrouvons David, un pèlerin français que nous avions rencontré à Thessalonique, le monde des pèlerins français est petit !

Les complies chantés après le dîner nous apaisent et nous aident à réaliser où nous sommes. La beauté de la psalmodie et le Salve Regina chanté dans l'abbatiale, devant la Vierge légèrement éclairée nous aident un peu plus à rentrer en nous même et à rendre grâce pour cette route qui touche à sa fin.

Dans ces moments, nous prenons conscience du chemin parcouru et repensons à chacune des personnes rencontrées, à leur histoire, leurs peines, leurs joies et leurs intentions.


Lundi 23 décembre : Journée de repos à Latroun

Noël : J-2


Cheminer vers un but, c'est entrer dans une routine. Avançant chaque jour vers votre destination, chacune des journées est rythmée par la route et la nécessité d'aller de l'avant. Avec pour conséquence d'oublier parfois la raison de ce cheminement. Ces jours à Latroun étaient donc essentiels pour nous recentrer sur l'essentiel, ceux pour lesquels nous marchons, Celui vers lequel nous marchons.

Le rythme paisible et calme de la vie monastique fut idéal pour prendre conscience du terme de notre route et pour nous préparer intérieurement à ce grand basculement, d'une vie de nomade à une vie de sédentaire.

Après les Laudes et la messe de 6h, nous aidons les moines en rendant service à diverses tâches.

L'après midi est ensuite l'occasion de visiter l'abbaye avec un frère.

L'abbaye de Latroun qui produit du vin et de l'huile d'olive fut construite à la fin du XIXe comme beaucoup d'autres communautés religieuses françaises. Elle est une des filles de l'abbaye bourguignonne de Sept-Fonts.

Après les Vêpres, puis les Complies, nous allons nous coucher conscients que la journée du lendemain sera chargée en émotions, conscients que nous ne réalisons pas vraiment ce qui nous attend.


Mardi 24 décembre : Latroun-Jérusalem

Noël : J-1


Nous nous levons aux aurores pour assister aux Laudes et à la messe, profitant des derniers instants de silence avant le bouillonnement de la ville Sainte. Profitant des derniers instants de pèlerins, de vagabonds qui cheminent sans trêve vers leur but.

Après avoir salué David et le père Christian Marie, nous prenons la route de Jérusalem. Le soleil est là, les oliviers aussi. Quelques kilomètres plus tard, nous nous enfonçons dans une vallée rocheuse en roulant sur un petit sentier pierreux de randonnée. Nous passons au milieu d'un groupe de jeunes israéliens en armes qui réalisent leur service militaire (3 ans pour les garçons, 2 ans pour les filles à partir de 18 ans), ce qui nous rappelle que nous sommes dans un pays marqué par les conflits, les tensions et les divisions.

Le sentier devient de moins en moins praticable et très vite nous devons porter nos vélos pour passer par dessus des rochers. Une fois la route rejoint, nous escaladons une dernière côte, raide, qui nous rappelle combien la route ne fut pas une partie de plaisir et combien Jérusalem se mérite. La sueur aux tempes, nous arrivons bientôt dans les faubourgs de Jérusalem. La circulation est dense, les israéliens fous du klaxon.

Apres un dernier déjeuner au pied d'un vieil olivier, nous arrivons au panneau "Jérusalem" qui marque l'entrée de la ville en 3 langues, comme pour signifier l'importance de cette ville pour les trois religions monothéistes. Quelques kilomètres plus tard, nous nous retrouvons face à la vieille ville, dans laquelle nous pénétrons par la porte de Jaffa. De cyclistes nous devenons piétons en poussant nos vélos dans les dédales de ruelles qui mènent au Saint Sépulcre, le lieu du tombeau du Christ et du Golgotha. Un dernier virage et nous sommes face à la basilique.

L'émotion est palpable, sans nous concerter nous nous taisons. Les visages des personnes rencontrées reviennent en tête, les difficultés prennent tout leur sens, les joies colorent ces souvenirs. Tout s'ordonne en ce lieu vers lequel nous roulons depuis le 27 octobre, ce lieu que nous n'osions pas vraiment imaginer tant il nous paraissait lointain et inatteignable. Ce lieu qui soudain s'offre à nous.

Il faudrait sans doute plus qu'un simple article pour décrire ce moment où le pèlerin redevient une simple personne, ce moment où il dépose son sac et le fardeau des souvenirs qui l'accompagnait, joies comme peines. Ce moment où il réalise que sa marche prend fin et où il peut se sentir fier d'avoir cheminé pour toutes les personnes qu'il portait dans son cœur, celle rencontrées sur le chemin et celles qu'il aime.


Devant le monde, nous décidons de remettre notre visite du Saint Sépulcre à plus tard. Sans perdre de temps nous prenons la direction de Bethléem où nous assisterons à la messe de Noël.

En arrivant en Palestine, nous sommes soudain confrontés à une dure réalité, celle du mur qui sépare Israël de la Palestine. Un mur de 8m de haut et de près de 750km de long, percé de checkpoints et qui clôt la Palestine.

De l'autre côté nous sommes dans un pays arabe, tout semble moins occidental contrairement à Israël.

Nous allons alors chez Roubina qui nous loge, une amie de personnes rencontrées sur le chemin. Puis nous retrouvons Marie Domitille, Maylis et l'ensemble des volontaires de l'Oeuvre d'Orient à Bethléem avec qui nous passons le réveillon. L'ambiance est chaleureuse et nous retrouvons un peu de cette joie familiale propre à Noël. Nous allons ensuite à la messe au champ des bergers, lieu où l'ange serait apparu aux bergers pour leur annoncer la naissance du Christ. La messe, dans une petite grotte, nous ramène au mystère d'humilité qu'est la Nativité.


C'est donc ici, à Bethlehem que s'achève notre route. Dans ce lieu, symbole de l'humilité d'un Dieu qui s'est fait homme. Cette humilité que nous avons essayé de retrouver lors de ces deux mois. Notre condition de pèlerins nous aura valu à la fois l'accueil et la générosité de tant de gens mais aussi le rejet et la crainte de quelques personnes.

Nous ne serons jamais assez reconnaissants de toutes ces personnes qui nous ont aidés sur notre route et qui auront été les visages de ce chemin. Plus que les paysages, ce sont eux qui donnèrent son sens et sa beauté à cette aventure. Leur exemple de générosité, de gentillesse, d'abandon et de foi nous aura tous les trois marqués. A notre tour, nous essayerons d'en être dignes en ouvrant nos cœurs un peu plus à l'autre, celui que l'on ne connaît pas et qui a besoin de nous.

Chacun nous les avons portés dans nos cœurs et nos prières :

Vincent et Marie Thérèse, les sœurs de l'annonciation à Dormans, les habitants de Saint Germain la Ville, Nathalie et Irène, le boulanger de Pargny, le père Alexandre, Jean, M et Mme Petit, Christiane, Andrea, Heidi, Bernhard et Renate, le père Johannes Maria, Philippine et Anne Victoire, Dada, le frère Beda et les franciscains de Salzbourg, Alexandra et Marie Christin, Helena, les pères Stanko et Caspar, le père Bernard, les novices Miroslav, Antonio, Thaddée, Georges et André et les franciscains de Rijeka, les capucins de Karlobag, le père Petar, le père Mirko, Yosef et les salesiens de Split, le père Mijo et le sanctuaire de Vepric, Katica, Vera et Nikola et leur famille, les moines orthodoxes de Budva, le père Lorenzo et les séminaristes de Lezhe, Alexander, Ilyas, Hadji et ses fils, le père Agipite, David, Georges, les cyclistes d'Alexandroupoli, Mehmet, Burak, Bedri, les pères Ricardo et Andres, Annik et Anita, les jeunes catholiques d'Istanbul, Neçibe, Aslehan, Mustapha, Aykim, Neslehan, le père Jackie, Mustapha, Peter et Maria, Hugo, Abdullah, Efe, Albert, Lawrence, Peter, Tom et les chrétiens d'Antalya, Julien et Sophie, Marc, les maronites de Chypre, le père Christian Marie et les trappistes de Latroun, les canadiens de Jérusalem, Marie Domitille, Maylis et les volontaires de Bethlehem, les dominicains de l'école biblique, Geoffroy, Ombline, Philippe et les étudiants de l'école biblique.

Merci.


Pierre-Emmanuel, Côme et Pierre-Etienne, les Barouleurs